Pour rappel : je suis sourde de naissance, appareillée à 6 mois et bi-implantée à 39 ans.
Je ne peux pas oublier cette date anniversaire, le 17 novembre 2016. C’est le premier jour du reste de ma nouvelle vie auditive : #newSophie.
Et quel démarrage, j’ai envie de dire !
La période 2019/2020 a été compliquée entre la dépression (ce n’est pas ma bi-implantation qui l’a déclenchée) et la pandémie Covid. Je veux exposer ici un petit bilan « synthétique » de ce qui s’est passé au niveau sonore. Il y a peut être répétition avec les billets qui ont été postés depuis l’opération.
Au cinéma
En cinq ans, mes oreilles ont vécu de beaucoup de choses. À la veille de cet anniversaire, je suis allée au cinéma voir un film français sous-titré en français. J’ai pris plaisir à entendre les voix des actrices, les mélodies musicales. Je n’ai pas pu reconnaître toutes les musiques, ni les paroles. J’ai réussi à associer le son avec l’écrit. C’est tout simplement génial (pas magique hein !) après toutes ces années de travail, plus de 20 ans d’orthophonie, à essayer de reconnaître tous ces sons.
Dans mon train
Je n’hésite plus à écouter les annonces des gares que je connais, entendre le nom de chacune d’entre-elles, c’est une petite victoire pour moi. Il y a 5 ans, je n’avais pas imaginé que ce serait possible aujourd’hui.
Entendre la décompression pneumatique des portes à l’arrivée et au départ, l’accélération du train sur les voies, le roulis, le rebondissement des rames, ce sont autant de sons que j’ai découverts avec l’implant.
Ce qui est drôle, j’entends aussi le claquement des coques de téléphones quand on arrive dans chaque gare, parfois, j’entends les zips des manteaux fermés à la va-vite. L’ouverture des portes sans les entendre. Les pas au loin.
Ticket aller pour le son
Il y a 5 ans, on m’aurait dit « tu verras, tu te rendras compte que la vie est pleine de sons, autant de sons que de couleurs, de tonalités de lumières ». J’aurais fait les gros yeux et rigolé.
Il y a 5 ans, je me jetais vers l’inconnu sonore. Je ne savais pas quel serait le résultat. On ne pouvait rien me garantir. En disant cette phrase, c’est inimaginable qu’on puisse tenter quelque chose dont on ne sait pas où ça va nous mener. C’est vrai, ça a été un choix difficile, douloureux. J’avais peur. J’avais pris un ticket aller pour le son, le voyage continue encore aujourd’hui.
Le son et le cerveau
Aujourd’hui, je me rends encore compte qu’il y a des bruits que je ne peux pas assimiler, c’est pas que je ne veux pas, je ne peux pas. Comme le fait d’entendre ma respiration, c’est quelque chose qui me rend dingue en permanence, je me dis que ce n’est pas possible de s’entendre respirer… mais si.
Mon cerveau n’assimile pas cette information, même si vous, personnes entendantes vous l’avez oublié. Tous les petits bruits qui font partie de votre monde sonore, je les assimile encore aujourd’hui. C’est quelque chose inexplicable. Là je viens de prendre un grand coup de respiration, et oui, je m’entends respirer.
Ce sentiment s’est accentué davantage avec le port du masque. Entendre son souffle dans le masque, le bruissement de ce petit morceau de papier qu’on porte sur la bouche.
Un des points négatifs du masque : les élastiques me font mal aux oreilles après 1h de port, ce qui est logique. Mes cicatrices se trouvent dans le pli du pavillon de l’oreille sur 5 centimètres, pas plus. Les autres effets négatifs, j’en ai parlé à travers d’autres billets.
Pose de l’implant
La technique de pose de l’implant a aussi beaucoup évolué. Je me rends compte quand je vois les photos des opérations qui ont été faites par le passé, il fallait raser une bonne partie du crâne, moi on m’a rasé un petit centimètre pour dégager la zone à opérer. J’ai pas posté de photos car j’ai pas eu de chance par la suite, j’ai fait une infection sur l’une des cicatrices. Ce sont des choses qui arrivent. Je pourrais la poster aujourd’hui, on n’y voit rien il parait. Mais quelle importance vu que c’est derrière le pavillon ? C’est juste un peu plus sensible.
Nouveau facteur à prendre en compte
Réfléchir à tout ce qui s’est passé en 5 ans, il s’est passé beaucoup de choses que j’ai pour la plupart consignées sur ce blog. Il manque le bilan des 4 années. La quatrième année n’est pas signe de progression car avec la pandémie et les confinements (mais aussi auto-confinement), j’ai perdu l’habitude des réunions, de voir du monde. Je m’en rends compte aujourd’hui.
Bien que j’aie progressé dans ma compréhension, il y a un facteur qui est la fatigue que je n’ai pas prise en compte.
La fatigue est une ennemie sournoise. On ne la voit pas, on ne la sent pas malgré toute l’énergie que je peux déployer. Parfois, je suis obligée de dire « stop » . Je suis obligée de m’arrêter pour mieux repartir. C’est une chose dont personne ne m’avait jamais parlé. Au début, on m’avait dit que c’était normal qu’il y avait un temps d’adaptation, ce que je peux comprendre. Aujourd’hui, c’est un élément que je dois prendre en compte dans mon quotidien. Si je n’ai pas mon quota de sommeil, c’est compliqué à gérer. J’apprends à faire avec, on verra dans quelques années. Peut être que ce sera différent.
Il y a 5 ans, on m’a dit…
« Vous ne pourrez pas entendre la radio ». Ça ne me manque pas, mais je sais que si j’ai la transcription écrite, je peux arriver à suivre l’émission de radio avec le support. J’arrive à « connecter » les mots entendus et les mots écrits. Je trouve que c’est déjà bien pour quelqu’un qui n’a jamais entendu. Toutes ces choses qu’on m’a dit que je n’arriverais pas, ben j’ai envie de dire, si j’y arrive, à ma manière. Pas à la manière dont l’équipe d’implantation a imaginé. On peut y arriver par des moyens détournés. La preuve.
« L’usage du téléphone va être très compliqué ». Oui c’est compliqué. Mais j’ai de la chance de pouvoir reconnaître des mots quand je suis dans un contexte précis, d’arriver à comprendre des bribes. Ça peut paraître bizarre… non je ne peux pas faire des conversations d’une heure sans aide technique, mais ça progresse petit à petit. Apprendre à l’utiliser, à adopter les usages et les coutumes, c’est un nouveau monde. Les habitudes sont bien ancrées, d’ailleurs, il faut 21 jours je crois pour arriver à en changer une. Je n’ose pas imaginer le nombre de jours si je dois compter toutes les habitudes que j’ai.
« L’interphone, c’est un ennemi ». Oui, c’est encore un ennemi car je ne maitrise pas les sons qui sortent de cet engin dont j’ai parlé à plusieurs reprises ici. Mais j’ai appris à l’apprivoiser. Aujourd’hui, quand je décroche mon interphone, qui est le modèle le plus banal qu’on puisse avoir dans un appartement, j’arrive à comprendre certains mots, parfois il faut que ma suppléance mentale fasse le travail. Je trouve que je m’en sors plutôt bien.
« Vous pourrez pas saisir les nuances musicales ». Aujourd’hui, je peux dire que je l’apprécie quand je suis disposée à l’écouter. Je peux reconnaître des mélodies, à ce jour, j’ai un titre et d’autres que je reconnais, c’est fou mais oui. Je n’ai toujours pas été voir un ballet avec un orchestre, c’est quelque chose que j’aimerais tester. Aller au théâtre et voir ce qui en ressort ou sans aide technique, pour voir, pour ressentir les choses. Si c’est un échec, ben au moins, je me dis que j’aurai essayé.
Dans le temps présent
Aujourd’hui, je ne fais plus d’orthophonie. Bizarrement, le ressenti est mélangé, ambigu. Ça me manque parce que je ressortais de ces rendez-vous revigorée, reboostée, avec de nouvelles pistes pour appréhender de nouvelles choses. Ça ne me manque pas parce que ce sont des rendez-vous qui prennent du temps, de l’énergie.
Aujourd’hui, je me rends compte que tout ce que je ne pouvais pas faire sans lecture labiale, je commence à le faire. C’est long, ça prend du temps, mais c’est possible. Il faut avoir la motivation et l’énergie. Je ne vais pas me voiler la face, mais la pandémie m’a un peu arrêtée dans mon élan. Aujourd’hui, j’essaie de le retrouver pour continuer à progresser, à mieux entendre et comprendre, à mieux vivre.
Aujourd’hui, il arrive qu’on me dise « Ah mais tu as tes implants, donc tu comprends tout », je ne suis pas désolée de te décevoir, mais non je ne comprends pas tout.
Aujourd’hui, je m’amuse de voir que ma surdité passe inaperçue. Mais parfois, j’aimerais qu’on prenne en compte le fait que je n’entende pas, même si c’est plus confortable pour l’autre que j’entende et comprenne. L’effort ne doit pas être unilatéral.
Aujourd’hui, on me pose encore la question « Tu n’as pas de regrets ? ».
Je n’ai pas de regrets, parce que c’est une expérience inoubliable. Je n’oublierai pas la première journée d’hospitalisation, mon activation où j’ai pleuré la première fois que j’ai entendu un son et la voix de mon conjoint qui a été aux premières loges, découvrir tous ces sons qui me rendent dingue mais que je ne pourrais pas m’en passer. Quand je relis tout ce que j’ai écrit à ce sujet, j’ai la gorge nouée, les larmes aux yeux parce que je suis fière de ce que j’ai accompli. Je me suis trouvé des ressources dont je ne connaissais pas l’existence.
Si je me pose et que je réfléchis à tout ce que je viens d’écrire, j’ai envie de dire que c’était quand même gonflé et osé de ma part de demander à faire les deux oreilles en même temps. Qui aurait sauté à pieds joints dans un trou sans fin ?
Le mot de la fin
J’ai pris un ticket aller pour le voyage du son. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’est peut-être pas direct, mais il vaut son pesant d’or. C’est un ticket d’or.