Dans mon quotidien, il m’arrive de devoir faire face au démarchage commercial. Ça peut être surprenant surtout quand on est sourde comme moi.
À 10h10, mon téléphone sonne. La sonnerie du téléphone se déclenche directement en bluetooth dans mes implants cochléaires. Il m’est impossible d’ignorer l’appel.
Je prends mon téléphone, je vois un numéro qui commence par un 01 62. Je décroche et j’active la reconnaissance vocale automatisée via RogerVoice, mon application favorite pour le téléphone. Je me dis que je devrais arriver à me débrouiller, ce qui est très souvent le cas.
Une voix de femme commence à parler. Elle parle assez vite, au point que la reconnaissance vocale automatique suit mais avec difficulté. Elle me dit qu’elle fait partie de telle entreprise et me demande si j’ai utilisé mon chèque cadeau de 200 euros pour l’énergie.
Je réponds que je n’ai pas connaissance du chèque cadeau. Elle commence à me répéter le même texte pendant 2 minutes à peu près, temps durant lequel j’essaie de l’interrompre et d’obtenir des informations complémentaire, pour avoir en résumé : chèque énergie, cadeau, accompagnement, vos informations personnelles et impôts.
Là, ça fait « tilt » dans ma tête.
Je ne suis pas dupe.
J’ai en tête la loi sur le démarchage commercial et le RGPD, ce sont mes premiers réflexes. Surtout mes données personnelles.
Je l’interromps en lui disant que je suis une personne sourde et que je la comprends grâce à une application RogerVoice qui me retranscrit tout ce qu’elle me dit à l’écrit.
Elle insiste, je répète que je veux savoir quelle est l’entreprise pour qui elle appelle, elle me donne le nom de l’entreprise. Je réponds que j’ai bien entendu l’information et que comme elle a toutes mes données personnelles, je l’invite à m’envoyer un email puisque je suis une personne sourde et que ça sera plus facile pour la suite de l’échange.
Réponse négative de sa part parce que ce n’est pas la « procédure ». Ce moment d’échange dure bien 3 minutes environ.
Je réponds également par la négative en lui disant que je ne suis plus intéressée. Là elle m’interrompt, en me disant, je cite « que vous êtes une grande fille que je peux décider par moi-même ». Je réagis au quart de tour en lui demandant pardon et de me répéter ce qu’elle vient de me dire et là : « enfin, je veux dire que vous êtes une grande personne ».
Je suis hallucinée. Je vais au culot, je lui dis que cette conversation est enregistrée. Et là, tut, tut, tut…
Elle avait raccroché directement.
Alors c’est vrai, je connaissais pas le numéro. J’aurais pu utiliser les options suivantes :
- ne pas décrocher parce que je ne connais pas le numéro ;
- faire la sourde.
Oui mais non, c’est mal me connaître. Dans ma vie privée, j’ai des besoins qui ne peuvent pas être comblés autrement que par le téléphone et donc oui, je m’adapte.
Faire la sourde, c’est une idée mais pas la meilleure car j’ai des besoins téléphoniques. C’est pas la solution à tout, ni la meilleure façon de sensibiliser et parler du handicap auditif. Et qu’est-ce que ca va apporter de plus ? La personne ne sera pas sensibilisée, et peut être ne réfléchira pas de son côté à la situation qui est arrivée puisqu’elle n’aura pas les clés en main pour faire autrement.
Avec le recul, je trouve que c’est d’une violence verbale inouïe. Il n’est pas possible de tenir de tels propos au téléphone ! J’ai l’impression d’être revenue au siècle dernier où il n’y avait aucun respect de la personne en situation de handicap.
Le démarchage commercial est aussi un métier à part entière. Je ne peux pas en vouloir à ces personnes qui doivent passer des appels à longueur de journée et qui sont dans les centres d’appel pour pouvoir gagner leur vie elles aussi.
De jour en jour, je suis de plus en plus convaincue sur le fait qu’il faut à tout prix mettre une sensibilisation au handicap à tous les niveaux de la vie qu’on remette l’humanité au centre.