Cher Papa noël,

Sophie, assise sur les genoux d'un Père Noël qui fait 2 mètres 50 de haut.

J’ai aimé penser que tu étais une vraie personne qui parcourais le monde en traineau avec tes rennes. Enfant, je me demandais comment tu pouvais livrer des cadeaux par milliers, comment tu faisais sans cheminée ? 

Le sapin était décoré, Petit Papa Noël de Tino Rossi marchait souvent. Je ne comprenais pas les paroles, ni la mélodie, mais l’amour et l’ambiance y étaient. Je m’appliquais à bien poser le vinyl correctement sur la platine. Mettre ce diamant qui permettrait à ma famille d’entendre cette jolie musique sortir de cette boîte. 

Les soirs de décembre, quand il faisait nuit noire, je montais sur ce grand bureau noir accolé à la fenêtre. J’y guettais quelque chose. Quelle forme ? Quelle couleur ? Rouge certainement. 
Quand la neige tombait, c’était encore plus beau à voir, c’était magique pour moi. Dans ces moments-là, je me rappelle que je n’avais pas mes appareils le soir. C’était souvent avant d’aller me coucher. La neige est associée au silence pour moi. Le paysage devenait blanc et je t’imaginais en train de braver les flocons de neige. 

Mon esprit avait mille et une idées pour ton voyage du 24 décembre.
Même si tu en avais l’habitude, ça ne devait pas être simple pour toi ce soir particulier. Tu arrivais à déjouer les fuseaux horaires pour que tout le monde ait son cadeau. 

Mon cousin du même âge que moi, me soutenait que le Père Noël savait ce que je voulais et qu’il passait parfois par la porte ou la fenêtre. Le soir du réveillon, nous allions tous ensemble avec les cousins dans un coin à l’écart au calme pour attendre le Père Noël. Il passait et déposait ses paquets au pied du sapin. L’excitation était à son comble dans ces moments-là du plus vieux à la plus jeune. 

Nous étions une bonne douzaine d’enfants. J’étais la seule à ne pas entendre. Tous sensibles à ce détail, qu’ils faisaient tous attention à ne pas m’oublier, j’ai vécu mes plus beaux noëls avec eux. Ils me donnaient les informations qu’ils pouvaient obtenir ou entendre. Je me rappelle d’une année d’un de mes cousins dont j’étais très proche, il était tellement expressif que je comprenais à son visage ce qui se passait. 

J’ai longtemps cherché à savoir comment je pouvais communiquer avec toi.
Quand je me suis retrouvée devant toi à 5 ou 6 ans, je n’ai pas pu te parler. J’étais trop intimidée par la personne que tu es. Je ne pouvais pas te comprendre. Tu as une magnifique barbe blanche, douce et épaisse.

Je n’ai pas oublié ma liste au Père Noël, je sais que je suis pas super en avance.
Mais j’ai été sage ! Je me suis appliquée à bien travailler, un peu trop même. Ca va beaucoup mieux. J’en ai tiré des leçons. Et quelques bêtises, tu verras, rien de bien terrible. 

J’ai un voeu que j’aimerais réaliser en 2023 : un projet d’écriture.
Peut être que tu pourras m’aider à le réaliser, à trouver une maison d’édition ? 

Merci Papa Noël, 

PS : voici mon email : sdrouvroy arobase gmail point com
Jour 20 du calendrier de l’avent – Ce billet est dédié à mes cousins et cousines… ❤️

J’ai un sosie !

Chatte noir qui baille aux corneilles, la langue rose et les crocs bien visibles. On la voit sur une couverture arc-en-ciel

Plus exactement, je rencontre tout le temps des sosies labiaux. Ça me semblait important d’interpeller votre attention sur ce sujet. On en parle très peu et pourtant on les rencontre tous les jours. Ils sont nombreux.

Qu’est ce que c’est ?

C’est quand deux mots ont la même image labiale.
Par exemple, les sons « a » et « an » sont très proches en lecture labiale. Les sons « p », « b », « m » ou « f » et « v » ont exactement la même lecture labiale.
Je peux confondre un mot à un autre.

Ca arrive à tout le monde et alors ?

J’entends mais je ne comprends pas tout. C’est un peu la dictée à trous qui fait partie de ma vie. C’est un exercice énergivore, c’est une véritable gymnastique du cerveau. Je suis souvent sauvée par le contexte de la conversation, des phrases. Ne soyez pas surpris quand je suis en mode « j’ai pas compris ». Parfois, il suffit simplement de répéter la phrase et si je n’ai toujours pas compris alors il faut changer le mot et pas la phrase pour que je puisse m’y retrouver.
Honnêtement, ça génère de la fatigue sonore.

J’adorais ça quand j’étais jeune car j’étais dans ma zone de confort à l’école avec ces dictées que mes camarades n’aimaient pas. Je trouvais toujours les bons mots. Il faut bien trouver des avantages ! Mais au bout d’un certain temps, c’est moins drôle.

À quoi ça peut ressembler ?

Voici quelques exemples qui reviennent souvent :

  • Mets ton pantalon / Bois ta menthe à l’eau.
  • Va prendre le bain / Va prendre le pain.
  • Il va acheter un pull / Il va jeter une poule / Il va acheter les moules

Niveau de lecture

Ma lecture labiale ne sera pas la même qu’une autre personne sourde. Nous avons tous et toutes des niveaux différents. Depuis que j’ai mes implants cochléaires, quand je suis dans un environnement calme, je me sers moins de la lecture labiale. Le son que je perçois va de pair avec ce que je lis.

Parfois, je suis dans un environnement sonore, festif, et là, je vais pas m’appuyer sur ce que j’entends mais sur ce que je vois.

Toujours pas convaincu ?

C’est une situation qui est certainement arrivée à plusieurs d’entre vous. Quand vous êtes au café et que vous attendez votre interlocuteur. Vous êtes pressés d’échanger avec elle, la tentation de communiquer est grande. Essayez de parler avec cette personne à travers la vitre. Vous aurez bien des surprises sur ce que vous aurez compris.

Voici une situation cocasse qui m’est arrivée pas plus tard que cette semaine.

— Tu feras une aloche à ton mari de ma part.
— Quoi ?
— Tu feras une aloche à ton mari !
— Quoi, une taloche ? Non mais ça va pas la tête ?
— Mais non, une aloche !
— Je ne comprends pas !
— Mon interlocuteur mime le mot.
— Je ris aux éclats, j’en pleure.

Avez vous deviné ? 🙂

Déconnectons-nous !

Enceinte de musique allumée, on voit le bouton entouré d'une lumière bleue

À l’heure où tout le monde prône la déconnexion, mais aussi réduire l’usage des objets connectés et en même temps a peur de cette pénurie d’énergie. 

Je suis presque certaine que vous oubliez que ces objets connectés peuvent avoir une utilisation autre que celle qui a été prévue initialement.

Pensez à la télécommande de votre télévision, les SMS !

Ces objets connectés me permettent à moi, personne sourde, d’être autonome. 

Sans ma montre connectée, je ne me réveillerais pas en silence sans réveiller ma moitié,
Sans mon smartphone, je ne pourrais pas rester en contact avec des personnes qui ne sont pas familières d’internet
Sans mon ordinateur, je ne pourrais pas faire mon métier, ni être au courant de tout ce qui m’entoure quelle que soit la langue. 
Sans mes implants cochléaires, je ne vous entendrais pas. 

Alors oui, il y a des choses non connectées qui pourraient les remplacer. Je déconnecterai dans la mesure du possible sans mettre en péril mon autonomie.

Mais cela me demanderait tellement d’énergie en plus de ce que j’utilise tous les jours. 

Chroniques d’une mélancolique

Je n’ai pas vu ma semaine passer. Chaque jour a été différent. Tantôt heureux, tantôt triste.

Tous les jours, avoir le sourire,

Tous les jours, essayer d’avancer,

Tous les jours, essayer de voir mes objectifs,

Tous les jours, ne faire envahir par la tristesse est un combat permanent,

Tous les jours, trouver le positif.

La dépression, c’est quelque chose d’invisible, pas forcément facile à vivre parce que les gens qui t’entourent ne savent pas forcément tout, ne savent pas forcément comment faire, ne savent pas comment te parler.

J’essaie de faire de mon mieux.

On pourrait croire que je vais bien, mais ça me coute énormément d’énergie. Je sais que j’y arriverai mais pour l’instant je prends soin de moi.

Je ne mords pas, c’est certain. ☺️

Parfois, j’ai envie de vous transmettre mes pensées. Souvent je me ravise car je sais que je peux avoir un effet boomerang pas forcément sympa.

Jusqu’à présent, les petits retours de boomerang sont sympas, mais je redoute les retours négatifs, ils arriveront un jour cest sûr.

Souvent, je me dis pourquoi… ?

Souvent, je n’ai pas la réponse. J’essaie de faire de mon mieux.

La dépression, c’est quelque chose qu’on peut lire un peu partout. Mais en parler vraiment de ce qu’on peut vivre, j’ai pas vu beaucoup de témoignages. Je vois souvent des définitions.

Est-ce que c’est moi ? Peut être que oui. Peut être que non.

Mais la dépression c’est un cercle vicieux, mais méchamment vicieux qu’il en est difficile de sortir. Il faut vraiment se faire violence. Il ne suffit pas d’un petit traitement, un psy, du repos et hop le problème est réglé !

Non, non, non, ça ne marche pas comme ça. Ça serait trop facile…

Quand je stresse, j’essaie de faire quelque chose qui me détend,

Quand j’angoisse, j’essaie de lâcher prise,

Quand je ne comprends pas, je sais que je comprendrai à un moment et que ce n’est pas maintenant.

Comment pouvez-vous réagir ou aider une personne dépressive ?

  • Proposer votre écoute sans jugement,
  • Faire des sorties positives,
  • Prendre de ses nouvelles de temps à autre.

J’apprends à relativiser malgré toutes ces situations.

Viens écouter à travers mes oreilles !

Sophie, bébé joufflu à un an dans une robe avec un sourire aux lèvres. Les mains sur un tronc d'arbre pour se tenir en équilibre. La photo est un peu passée en couleurs.

Avec mes implants cochléaires, je redécouvre le son différemment et je suis avide de découvertes ! 

Récemment, la question suivante m’a été posée : tu entendais comment avant ? 
J’avoue, je m’en rappelle plus même si ça ne fait que 6 ans que je suis bi-implantée.
Je ne peux que m’en rappeler si je relis mes écrits, je vois une évolution dans mes récits. 

Je m’étonne moi-même. 

C’est vrai que les premiers sons que j’ai entendus étaient sous forme électronique, mais ce moment-là s’est effacé petit à petit que j’ai avancé dans mon expérience de l’implant cochléaire. 

Avant, le bruissement des feuilles sous le vent je ne pouvais pas les entendre. Aujourd’hui, c’est un son qui m’est doux à écouter. 
J’en suis presque nostalgique parce que je me rends compte que mon audition a beaucoup évolué. 

Au début quand j’ai eu mes implants, les premiers sons étaient perturbants. Cela ne ressemblait absolument pas à ce que j’avais pu entendre avec mes appareils auditifs. J’ai dû réapprendre à entendre et à comprendre. 

J’ai dû me ré-approprier tous ces sons. Je me rappellerai toujours la première séance chez l’orthophoniste. Elle a duré une heure. Je remercie intérieurement cette orthophoniste d’avoir pris le temps de cette première heure. Ça ne faisait que 15 jours que je les avais. La première séance a consisté à identifier des bruits qui se passaient dans mon dos. 
C’est un peu violent quand on a toujours identifié visuellement. Le but était quand même de voir s’il y avait une amélioration ou la provoquer si je peux dire. Les premiers bruits en séance furent le tintement des clés, le froissement du papier, les pas de l’orthophoniste, l’applaudissement, et l’eau.
J’ai appris à identifier, à force de répétition, deux fois par semaine, pendant 6 mois dans un premier temps…

Le cerveau est un organe merveilleux quand on est motivés à le faire travailler. 

Aujourd’hui, je dirais que les sons que j’avais avec les appareils, je les ai aujourd’hui mais beaucoup plus nets, plus précis. 
Pourquoi ? parce que j’ai récupéré des fréquences dans les aigus que je n’avais pas avec les appareils. Ces fréquences aigües font la différence dans ce qu’on entend, elles sont là pour affiner le son, le rendre plus précis et perceptibles.

S’il y a des orthophonistes dans la salle, je prends les infos ! Vrai ou faux ? 

Aujourd’hui, je peux tout à fait entendre le bruit des griffes de chat sur le parquet. Je trouve ça rigolo. 
Il m’arrive parfois d’entendre via Facetime, un proche qui part chercher quelque chose et qui revient. J’entends ses pas sur le parquet. 
C’est perturbant de savoir que j’entends ça, ou plutôt que je peux l’entendre. 

Beaucoup sont surpris quand je leur dis : même se frotter les mains ça fait du bruit. 

C’est surtout ça qui m’a surprise après mon opération, c’est cette richesse de sons présente partout et tout le temps. 🙂

Jour 16 – La photo n’a rien à voir avec le billet, quoique si un peu quand même. J’ai un an sur cette photo. Je l’adore en fait, j’ai une patate d’enfer et on me reconnaît aisément je trouve.

Je ris aussi aux blagues à deux balles !  

Sophie cachée par des balles en plastique blanches

– « Attends »
– « Non, c’est pas la peine que je te raconte »
– « C’est une blague à 2 balles »
– « Pas maintenant, plus tard »

La période des fêtes arrive. 
Je ne l’aime pas pour la simple raison, je sais d’avance que je ne vais pas tout comprendre. Quel que soit l’entourage, il y aura toujours un moment de flottement. J’aimerais parfois l’éviter pour m’éviter de la souffrance ou de la frustration, pour ne garder que les meilleurs moments. Je sais qu’en évitant ces moments, je m’exclus toute seule et ça serait dommage. 

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Être sourde et mère

enfant accroché à un élastique qui saute en l'air

Avant même de mettre au monde mon minipixel-qui-est-plus-si-mini, j’ai appréhendé cette nouvelle expérience.

La maternité, en étant sourde, a été particulière. 

Particulière parce que personne n’était sensibilisé à la surdité quand j’ai été enceinte. Expliquer à plusieurs reprises au personnel soignant que je n’entends pas. Mon gynécologue était sur une autre planète.

Particulière parce qu’on me demandait s’il serait comme moi. Quelle importance ? C’est mon bébé.

Particulière parce que les cours de préparation à l’accouchement n’étaient pas accessibles, j’ai eu des fous rires incontrôlables parce que je comprenais pas le sens de ce que je faisais que j’en ai été exclue.

Particulière parce que dans une salle d’accouchement, il y a du monde et l’information circule vite à l’oral. Ce n’était marqué nulle part que je n’entends pas. Perturbant quand tu entends ta patiente parler et qui ne te répond pas parce qu’elle ne t’a pas entendue.

Être sourde et mère, c’est une grosse interrogation.

Je me demandais comment je ferais pour l’entendre pleurer la nuit par exemple. Beaucoup me disaient c’est pas grave, tu peux compter sur le papa. 

Pour moi, il est question d’égalité vis à vis de notre enfant. 
À n’importe quel moment dans notre vie. 

Il n’est pas imaginable pour moi de manquer d’informations sur la maternité, j’ai avalé toutes les lectures possibles, parcouru tous les forums, les sites internet de l’époque. Quelle expérience ! 

J’avais un système adapté qui m’a permis de pouvoir me lever la nuit, de « l’entendre » pleurer comme on dit. Souvent mon instinct de maman était juste. Il m’a suffi de me faire confiance pour que je me réveille quelques minutes avant lui pour me lever. Il m’est arrivé comme tout parent de me lever la nuit pour voir s’il respirait encore. 

Quand une lumière s’allumait sur mon système, c’était une source de stress supplémentaire. Je ne pouvais pas savoir s’il était en train de babiller dans son berceau, de pleurer, de discuter avec ses peluches, de tousser. Je n’ai pas eu de bébé qui a fait des bronchiolites, où il est nécessaire d’écouter sa toux et sa respiration si elle était sifflante ou pas. Je n’ai pas eu à m’inquiéter pour mon fils la nuit quand il était bébé. 

Je me suis demandé comment j’allais communiquer avec mon bébé. Je connais la langue des signes, je la lui ai apprise. Quand il a eu 1 an et demi, on avait une relation fusionnelle car il s’exprimait en langue des signes. Cela suscitait parfois de la surprise dans notre entourage.

Quand il a commencé à parler, une nouvelle angoisse est arrivée. Et s’il s’adressait plus à son père qu’à moi ? Finalement, notre fils s’est adressé de la même manière à moi qu’à son père. Spontanément, il se mettait devant moi pour me parler distinctement. Il est arrivé que je lui demande d’articuler ou de reformuler mais c’est tout. Tout le monde était comme sa maman et son papa. Il n’a pas fait la différence.

Quand il a fallu rencontrer les enseignants de maternelle et de primaire, j’ai tout de suite parlé de ma surdité. Je n’étais certes pas le parent référent d’urgence au téléphone mais la communication se passait bien quand j’allais le chercher à l’école. 

Avec le temps, les choses ont évolué. Il est arrivé que la communication soit compliquée à cause de la crise d’adolescence, mais je crois que tous les parents y sont confrontés d’une manière ou d’une autre.

La frustration que j’ai eue et que j’ai encore est quand je croise des copains et copines de mon fils qui ne savent pas que je suis sourde, je ne sais jamais sur quel pied danser. Je suis sourde et je parle. C’est peut être un peu atypique pour les jeunes qui ne me connaissent pas et qui n’ont jamais rencontré de personnes comme moi.

Aujourd’hui, mon fils oublie que je n’entends pas. Je suis obligée de lui rappeler quand je ne le vois pas et donc je ne l’entends pas. Être sourde et maman, c’est possible.

Les situations ne sont plus les mêmes avec un adolescent de 15 ans, mais on s’adapte continuellement !

La suppléance mentale

Affiche sur laquelle la moitié des lettre est cachée et lisible difficilement du premier coup. Le texte suivant est "à l'école un enfant malentendant ne devrait jamais ressentir ce que vous ressentez en ce moment en lisant ces lignes". Affiche de l'Institut National des Jeunes Sourds de Paris

C’est quoi la suppléance mentale ?

J’en parle souvent dans mes billets. C’est quelque chose que je fais quotidiennement.

C’est un effort intellectuel que je fais en permanence pour :

  • me concentrer pour pouvoir lire sur tes lèvres
  • me concentrer pour entendre quand je suis dans un lieu bruyant ou face à une personne masquée

Il m’arrive de ne pas entendre tous les sons qui composent la phrase, ou ne pas comprendre tous les mots. Comme si je faisais une dictée à trous toute la journée. Imaginez la fatigue que ça génère, de devoir compléter tous ces trous en permanence, tout le temps.

Si je pouvais penser à une situation dans laquelle vous pourriez être confronté à cette suppléance mentale, c’est pendant les réunions ou vous avez le son qui est très mauvais ou le son est coupé de temps à autre ne vous permettant pas de comprendre l’intégralité de la conversation durant 1 heure.

De temps en temps, c’est facile pour moi parce que je suis dans un environnement sonore calme. J’ai des personnes qui m’ont bien cernée et qui m’aident quand elles voient que je n’ai pas compris. C’est rare mais ça arrive et heureusement !

Dans une cantine par exemple, j’ai souvent la moitié des phrases qui m’échappent. Parce que d’une part, c’est un lieu bruyant, les gens mangent et parlent parfois la bouche pleine. Le son est beaucoup moins audible.

C’est un moment de repos pour les autres et d’échange, je ne force pas plus. Pourquoi un moment de repos pour les autres ? Parce que pour moi être dans le bruit ce n’est pas reposant. Je me dis tant pis, ça n’est pas bien grave même si au fond de moi ça génère de la frustration.

Dans une réunion, ça va être plus compliqué. Je vais devoir être concentrée deux fois plus car les écrans sont pas optimaux, les gens se coupent la parole.

Dans un échange à deux, tout va bien. 🙂

Quand j’arrive à compléter ma phrase à trous, je ne comprends pas forcément tout de suite. J’ai un temps de retard. C’est pourquoi parfois je dis : « ah oui ! » cinq minutes après. Il y a de quoi avoir l’air bête mais c’est comme ça.

Je parle souvent de dictée à trous parce que c’est visuel comme image. Ca marche aussi avec les mots qui n’ont qu’une lettre qui change. Je vais faire simple. En lecture labiale, les mots « main », « bain », « pain » sont quasiment pareils. Si on n’a pas le son, on ne peut pas les différencier sur les lèvres. C’est une autre compétence. Seul le contexte et la phrase dans lequel sera le mot donnera tout le sens au mot que je ne peux pas différencier en lecture labiale.

La suppléance mentale, c’est aussi chasser les mauvais mots qui me permettent de communiquer correctement. Mon environnement, le contexte de ce que je vois et entends fait toute la différence mais ne fait pas tout.

Jour 13

Être sourde et consultante en accessibilité numérique

J'ai la tête penchée et appuyée sur sa main

Mon parcours professionnel a fait que je me suis orientée vers le domaine de l’accessibilité numérique alors que j’étais au départ destinée à faire du multimédia sur des CD-ROM, support qui a presque disparu aujourd’hui.

L’accessibilité numérique est un sujet qui passionne, qui peut parfois fâcher, qui demande de l’énergie, qui demande à être toujours au fait des nouvelles technologies, qui demande aussi de la diplomatie, qui demande de la pédagogie et de la patience sans oublier l’empathie et la bienveillance. 

Aujourd’hui, je réalise des audits d’accessibilité numérique pour accompagner les équipes qui l’ont demandé, pour la mise en conformité d’un site, etc…. Je fais de la sensibilisation parfois. II m’arrive d’écrire des documentations. C’est important pour moi de pouvoir transmettre avec pédagogie pour que les erreurs ne soient pas reproduites ensuite. Mais ce n’est pas toujours évident.

Être sourde et faire des formations qui ne sont pas forcément adaptées à soi, c’est aussi un parcours du combattant que beaucoup peuvent oublier. Les formations que j’ai faites jusqu’à aujourd’hui, de tout mon parcours professionnel, n’étaient pas accessibles y compris les Gobelins.

Je tiens toutefois à remercier tous ceux qui m’ont partagé leur savoir, qui m’ont accompagnée jusqu’au bout, pour leurs efforts et leur disponibilité quand il était nécessaire de m’expliquer certaines choses que je n’avais pas comprises.

Une seule l’a été parce que j’avais demandé aux RH de faire le nécessaire. Il était impensable que je ne sois pas accompagnée à ce moment-là. Ce scribe (si tu me lis, merci infiniment !) qui prenait les notes à ma place, il m’a sauvée. Oui, c’est mission impossible pour moi de prendre des notes et être complètement concentrée sur la formation ou les échanges verbaux qui avaient lieu.

On croit toujours que la personne que je suis, n’a pas de difficultés à suivre une formation lambda. C’est une erreur ! La surdité, c’est un handicap qui touche à la communication, à la maitrise de la langue française. (j’ai simplifié attention !)
Beaucoup d’énergie pour arriver à comprendre les contenus, les interpréter correctement, les assimiler malgré la fatigue et la suppléance mentale. 

J’en tire une certaine fierté aujourd’hui parce qu’elle me permet d’exercer le travail que je fais et que j’aime. 

J’apprends aujourd’hui à accepter que je ne peux pas être parfaite, que je peux me tromper, que je ne sais pas tout. La crainte que j’ai au fond de moi, fait que je reste encore très prudente.
D’ailleurs, consultante ou experte, c’est une question que je n’ai pas résolue au fond de moi-même. Je sais que j’ai cette compétence, pas celle du développeur car je l’ai toujours dit.

J’ai ce petit plus qui me permet parfois d’avoir un regard différent parce que je suis sourde.
C’est pour ça que je n’ai pas encore écrit sur ce sujet, foutu syndrome de l’imposteur.
Je sais, c’est bête. Je ne devrais pas. Maintenant, vous le savez.

Je vais finir par me lancer, mais il faut du temps. 😀

Quand vous préparez des formations et que vous les proposez à votre public, pensez à les rendre accessible ! Envisagez la possibilité de pouvoir accompagner la personne en situation de handicap pour qu’elle puisse être tout aussi compétente que n’importe qui. 

Edvard Munch ou ma première conférence en LSF

Laure Bailleul en train d'expliquer le tableau "Le cri" d'Edvard Munch". On la voit approcher ses mains sur son visage pour exprimer un cri d'effroi

Aujourd’hui je suis allée au musée. Ça te surprend ?

Jusqu’à présent, je me disais que je n’étais pas le public cible. C’est vrai que je suis coincée entre deux mondes.

Deux mondes, oui.

Celui qui entend et celui qui n’entend pas. Trop sourde pour ce monde entendant. Trop entendante pour ce monde sourd.

Dans les musées, il y a des guides conférenciers qui font des conférences mais sont souvent remplacés par des audio-guides.

Ces petits machins que tu récupères à l’entrée du musée qui sont géniaux pour toi, mais pas pour moi. J’entends mais je ne comprends pas quand je ne vois pas la personne.

Jamais j’aurais imaginé pouvoir le faire, ou encore oser y aller de peur de ne pas tout comprendre.

On m’a proposé d’aller faire l’exposition d’Edvard Munch en LSF avec Laure, une guide conférencière sourde reconnue par les RMN (Réunion des musées nationaux).

J’ai hésité et je me suis ravisée parce qu’on a qu’une vie. Et qu’est ce que j’y perdais ? À part mon temps si jamais ça ne m’intéressait pas ?

Aujourd’hui j’ai été au musée d’Orsay, voir l’exposition d’Edvard Munch. Oui. Il faut un début à tout.

L’accès à la culture est déjà pas simple mais quand on est sourd, c’est doublement compliqué. J’ai cette chance de pouvoir connaître la LSF c’est vrai.

Le fait d’avoir accès à l’information culturelle synthétisée et complémentaire des contenus écrits, c’est vraiment un plaisir. Les musées pour moi, ça a toujours été le truc pas marrant parce que tu vois des œuvres, tu les comprends pas si tu as pas un audio-guide ou un minimum de documentation. Ça me demandait un effort supplémentaire de faire ça en plus de ma semaine. Ça m’embêtait.

J’ai savouré, j’ai aimé ça.

J’ai appris des choses.

Cet artiste qui a fait de la photo pour faire ses toiles, cet artiste qui s’est pris en auto-portrait, ou selfie pour les nouvelles générations, cet artiste qui a vécu des dépressions, cet artiste qui a été largement inspiré par les artistes de l’impressionnisme, mais aussi de l’existentialisme ou encore du vitalisme.

J’ai appris des choses. Je n’ai pas vu mon week-end passer mais je suis riche de ce que j’ai vu. C’est vrai que ce matin c’était dur de me lever avec ce froid, voir le 3e étage de la Tour Eiffel caché par les nuages mais je ne regrette pas.

Je vous laisse chercher si vous connaissez pas, ou allez-y, vous ne serez pas déçus.

Je finirai sur cette expression d’Edvard Munch : « Qu’est-ce que le temps ? Une seconde entre deux battements de cœur » — Ébauche littéraire, 1907.