Voilà quatre jours que tu es partie rejoindre Papi pour l’éternité.
Tu avais 96 ans, un bel âge pour une vie tellement remplie …
Quatre jours que je ressasse les souvenirs que j’ai avec toi.
Quatre jours que je me demande comment je vais commencer ce billet tellement je veux laisser une trace ici.
J’ai encore eu cette chance d’avoir pu aller te voir le mois dernier où j’ai passé tout un moment en ta présence mains dans les mains, tête contre tête.
Mars est le mois de ta naissance et de ton décès, mais ce que je retiens surtout, cette année, c’est la période de floraison des Magnolias en France et des Sakura au Japon.
Tu aimais tellement les fleurs, que tu avais toujours un pot dans la salle à manger avec ces cyclamens ou ces kalanchoés, toujours une petite rangée de fleurs sur le devant de ta maison.
Toi toujours coquette, avec ta mise en plis faite avec précaution souvent par une voisine. Classe, avec tes vêtements que tu pouvais coudre toi-même et prestance car tu étais grande. Ces qualités ne t’ont quasiment pas quittée de ta vie.
Les souvenirs sont pêle-mêle, les années se mélangent.
Aller dans l’arrière-cuisine en catimini pour y chiper des sucreries, je me disais toujours ni vu, ni connu, mais à mon avis, je devais faire bien plus de bruit que je ne le pensais. Est-ce que tu faisais semblant de ne pas avoir entendu ?
Regarder avec envie ces yaourts que tu achetais pour Tonton Olivier au caramel, et je demandais à chaque fois si je pouvais en prendre. Bien sûr que oui, pour moi c’était les yaourts de Tonton Olivier qui était à l’époque chauffeur routier.
Repenser à cette porte-fenêtre dans la chambre où je dormais. Je n’avais pas le droit de passer le pas de cette fenêtre qui donnait directement sur le jardin et qui n’avait pas de barrière. Il arrivait que je bravais l’interdit pour descendre de cette fenêtre, faire le tour de la maison pour sonner à la porte d’entrée. Je riais aux éclats parce que je pouvais facilement passer sous la fenêtre de la cuisine qui était bien haute. Parfois tu riais de ma bêtise, parfois tu me disais que non il ne fallait pas le faire.
Ce souvenir de ce tiroir dans cette cuisine en formica imitation bois, où il y avait les cahiers de dessin et de coloriage avec les crayons. Ce tiroir a toujours été là.
Cette poubelle magique qui m’intriguait quand j’étais petite. On ouvrait la porte de l’évier et il y avait un trou béant au sol qui « avalait » les déchets, les miettes qu’on pouvait ramasser avec le balai. J’ai été longtemps intriguée par cette poubelle, je ne comprenais pas comment ce trou pouvait avaler autant de choses … Je l’ai compris bien plus tard.
Cette cave toute noire, froide, basse de plafond, nombreuses sont les personnes qui se sont cognées la tête sur ce cadre de porte. J’en avais tellement peur que je ne voulais pas y aller. Les années ont passé, un jour j’y suis allée et j’ai été émerveillée de voir toutes ces pommes et ces pots de confiture que tu conservais dans cette cave avec papi, alignées parfaitement, comme si ca avait été rangé avec une règle.
Ce grenier sombre, j’avais interdiction d’y aller, l’escalier était tellement raide. Tu avais peur qu’on s’y rompe le cou. Comme c’était interdit, la tentation d’aller voir, était bien grande que j’y suis allée quelques fois avec mes cousins pour y découvrir des choses qui ne servaient plus …
Comme ces chaises hautes de bébé avec une lanière de cuir pour les empêcher de tomber, c’est vrai, tu as été nourrice pendant une période de ta vie après avoir élevé cinq enfants.
Je sais que tu as connu la guerre de 39-45 mais tu en as jamais parlé de ton ressenti de cette période. J’ai juste les quelques bribes que Papi a bien voulu partager avec nous.
Le soir, je pouvais regarder la télé mais pas la journée ou alors seulement les Feux de l’Amour ou Dallas. À l’époque, les programmes sous-titrés étaient bien rares et pas forcément adaptés à mon âge. La télé était dans la cuisine avec mon décodeur télétexte. Je pouvais regarder le programme que je voulais c’était un luxe pour moi ! Avoir la télé à moi seule pendant que tu la regardais avec papi dans la salle à manger.
La journée, il m’arrivait de prendre une chaise pour y accrocher un élastique au portail et sauter à l’élastique devant la sortie du garage. Je passais en fin de compte pas mal de temps dehors à faire je ne sais plus quoi.
Cette clio grise où il fallait monter derrière parce que Papi était pas d’accord et qu’une fois la côte montée, tu t’arrêtais, je passais devant sur les sièges pour pouvoir m’attacher correctement. Cette cachotterie n’a pas duré longtemps, mais j’en garde un excellent souvenir.
C’est toi aussi qui m’a donné ce contact avec les animaux, découvrir ces petits poussins tous jaunes enfermés dans des cagettes dans la grande Halle du marché de Bressuire, ca m’avait intriguée.
Les oies et lapins que tu nous laissais toucher pour ensuite les tuer pour le repas, je n’ai jamais pu en manger un seul puisque j’avais vu comment tu faisais. Mais ça ne m’a pas empêchée d’être intriguée sur la préparation des escargots, des poissons, ces trucs que tu préparais avec ton sempiternel couteau de cuisine et ton tablier. Tu en avais le pouce abimé à force.
Ce pouce, qui passait son temps à tourner autour de l’autre pouce quand tu avais les mains croisées sur ton ventre quand tu regardais la télé, pendant les conversations, c’était une manière d’occuper tes mains.
J’ai appris il y a deux ans, je crois, que tu avais fait une école de couture, j’aurais tellement voulu en parler davantage mais ta mémoire te faisait déjà bien défaut… école, stage, je ne sais pas, mais tes yeux ont brillé à ce moment-là quand tu en as parlé.
C’est toi qui m’a offert ma première machine à coudre. J’ai appris à coudre toute seule mais j’étais fière de pouvoir faire comme toi, de coudre mes vêtements désormais.
J’adorais quand on arrivait avec mes parents sans prévenir, et voir ta tête dans l’encadrement de la fenêtre de la cuisine. Tu avais un air ahuri, incrédule à chaque fois que ce soit à Bressuire ou à la Boisselée. Tu levais les bras tellement tu étais contente. Toujours contente que j’avais peur d’être étouffée dans tes bras et ton énorme bisou sonore que personne n’a jamais pu imiter.
Il n’y aura plus d’arrivées surprises.