J’ai pu poursuivre ma découverte du monde sonore à l’hôpital car j’étais encore hospitalisée. Découverte d’un monde très bruyant. On m’avait toujours dit : « l’hôpital, tu peux pas te reposer il y a trop de bruits », « l’hôpital, tu as toujours quelqu’un qui vient dans ta chambre », etc…
Mardi – Première journée post-activation
La journée n’a pas été très concluante car j’ai passé une très mauvaise nuit. Une toux provoquée par les reflux gastriques dûs aux médicaments. J’étais très fatiguée comme si j’avais fait la fête toute la nuit quoique tousser toute la nuit, ça revient un peu à la même chose.
Quand j’ai mis les processeurs, c’était désagréable. J’ai eu du mal à supporter les bruits que j’entendais même si j’étais au premier programme, volume 1. Je n’ai pas insisté, je trouvais ça inhumain de me l’imposer. Je me suis dit que je ferai mieux le lendemain. De toute façon, on m’avait dit il faut de la patience, beaucoup de patience.
Le soir, les infirmières ont mis de la vaseline sur mes croûtes afin qu’elles puissent se décoller sans soucis et faciliter la suite de la cicatrisation. Quand la crème a été posée, mes oreilles se sont apaisées tout de suite. C’était confortable, ça ne tirait plus. C’est vraiment agréable comme sensation même si la matière est grasse.
Je le note pour les prochaines croûtes de bobo de mon fils. On y pense jamais !
Mercredi
J’ai eu droit de me laver la tête mais avec de la bétadine. Pas du shampooing. On évite les prises de risques avec mes cicatrices. Ça m’arrangeait, ce que je voulais c’était avoir les cheveux propres toute seule comme une grande !
J’aurais pu les laver avec mon shampooing habituel mais il aurait fallu que je mette 2 bols sur les oreilles pour les protéger…
Je dois dire que j’ai deux mains, deux oreilles. Le calcul était vite fait. Je me voyais mal demander à une tierce personne de me les tenir pendant que je me lavais les cheveux.
Ce que j’en retiens, c’est que j’aurais eu le look de Jacques Villeret dans « la soupe aux choux » !
À 2 jours de mon activation, j’arrive à différencier les gens qui marchent dans le couloir soit avec des talons, soit des sabots ou chaussures de ville. Je les reconnais au rythme de la marche. J’arrive aussi à entendre la mélodie des voix des gens qui passent dans le couloir. C’est la même voix pour tout le monde, femmes et hommes confondus.
Mais faire la différence entre les gens qui marchent et les gens qui parlent derrière une porte, c’est énorme pour moi.
C’est nouveau. Je ne l’entendais pas avant.
Dans la journée, je me suis attablée pour écrire, je me rends compte que j’entends le frottement de ma main qui bouge sur mon cahier quand j’écris. J’entends aussi le crayon qui crisse sur la feuille. Sensation bizarre.
Les personnes qui entendent ont un système de filtrage des bruits « parasites ». C’est ce qui leur permet de ne pas devenir dingue. 🙂
La psychologue est passée me voir, j’ai eu un temps d’arrêt quand j’ai vu son visage. J’étais dans ma bulle que j’ai réussi à la re-situer au bout d’un laps de temps. Ça a dû se voir à ma tête. Mais la voir m’a fait plaisir, même si je ne l’avais vue qu’une heure et demie avant mon opération. Je lui ai dit que j’étais déroutée parce que je ne m’y étais pas préparée à ne pas reconnaître ma voix. Elle m’a dit d’une voix rassurante, que j’allais retrouver les sons que j’avais dans ma mémoire, ça serait long certes. Mais le cerveau est un outil puissant, bien plus puissant qu’on le croit.
J’ai eu l’idée de lui demander si une personne entendante devenue sourde et implantée par la suite entendait comme une personne sourde de naissance (comme moi) implantée à l’âge adulte, la réponse est la suivante : la personne retrouve le son qu’elle avait avant même si la restitution est électronique par le biais du processeur et de l’implant interne. C’est le cerveau qui fait la synthèse entre le son qu’on a mémorisé et celui qu’on perçoit avec les implants. Chacun est différent.
Contrairement à une personne devenue sourde, je ne redécouvre pas un monde sonore. Ce ne sera pas une renaissance comme on pourrait le lire dans certains témoignages. Je vais découvrir un nouveau monde sonore qui va se rajouter à ce que je connais depuis ma tendre enfance.
Je me suis gratté le cuir chevelu, ça m’a fait tout drôle d’entendre ce bruit. Je me rends compte que tout mouvement fait du bruit. J’ai hâte de rentrer à la maison pour découvrir tous ces bruits à mon rythme et dormir, dormir.
Ma perfusion
Pour bien finir mon hospitalisation, ma perfusion s’est bouchée ! Il est nécessaire de m’en reposer une nouvelle pour pouvoir finir la cure d’antibiothérapie avant ma sortie de jeudi. Les infirmières se sont mises à deux pour retrouver une nouvelle veine. C’était bien ma veine !
Un garrot sur chaque bras, une infirmière de chaque côté, j’essaie de détendre l’ambiance… Elles arrêtaient pas de me dire qu’elles étaient désolées. Moi j’étais désolée d’avoir des veines compliquées à piquer.
L’infirmière en 2è année a fait preuve de tendresse, j’ai apprécié ce moment qui était un peu difficile pour moi. Elle a bien vu que j’avais mal et malgré ça, j’essayais de plaisanter. Elle a pris ma main gauche pour me la tenir et la caresser pendant que sa collègue essayait vainement de piquer une veine sur la main droite au niveau du poignet.
Je vous le dis, le poignet, mauvais plan !
Surtout qu’elle avait piqué et rien ne sortait et moi, je lance une vanne pourrie, comme à mon habitude : « peut être que je suis un vampire », bon ma vanne aura eu le mérite de détendre les détendre les deux infirmières puisque la prochaine piqûre sera la bonne !
Jeudi : la sortie
Pendant la visite des médecins, je demande au professeur à quelle heure je sors. Il me répond sur un ton joyeux : « 10h37, pas 36, pas 38, 10h37 ! ». Je souris tellement que j’ai senti mes oreilles bouger. La sensibilité des pavillons commence à revenir. C’est bon signe.
L’infirmier stagiaire m’enlève ma perfusion qui aura tout de même servi pour passer les 2 doses manquantes d’antibiotiques dans la nuit. Je le regarde et je lui dis « libérée, délivrée ! ». On sourit tous les deux.
Je lui dis que c’est fou comment on peut se sentir enchainé avec une simple perfusion.
Une fois mes affaires rassemblées, je range mes processeurs dans leur pochette. J’ai peur de tout ce bruit qui m’attend dehors. J’explique au chauffeur que je n’entends pas et que si je ne réponds pas c’est pas parce que je boude, c’est juste que je n’ai pas entendu. Il me fait signe de la tête qu’il a compris.
Je vois les paysages défiler dans la pollution. En silence, celui que je me suis accordé pour le retour.
Je suis fatiguée mais heureuse de rentrer à la maison, de quitter cette chambre si protectrice où tu ne peux pas ouvrir les fenêtres en grand, où tu peux être interrompue à tout moment.
La maison, mon refuge
En arrivant à la maison, je m’allonge sur le canapé et je m’endors d’un sommeil lourd sous le regard bienveillant de mon mari. Je me réveille, je mets mes processeurs et je me rends compte que ma maison est calme comme un monastère…
Je suis à l’affût du moindre bruit. Nous sommes deux. Mon mari est tout autant à l’affut que moi, il est avec moi à 100% dans la conquête du nouveau monde sonore.
Le premier bruit que je reconnaîtrai chez moi, sera le tic tic de l’horloge, mais aussi l’eau qui coule dans le radiateur.
Des bruits que je n’avais jamais entendus.
Je sens que je suis extrêmement fatiguée, que le travail va être long, qu’il va falloir que je sois patiente, que je réapprenne à entendre, que je réapprenne à reconnaître tous les bruits. Qu’il va falloir que je mette en place les rendez-vous orthophoniques pour que je puisse me faire aider pour ma rééducation auditive.
« Je lui dis que c’est fou comment on peut se sentir enchainé avec une simple perfusion. »
Exactement ce que je me suis dit à chaque fois que ça m’est arrivé !
C’est dingue comment un simple petit tube peut t’enchaîner …
Je viens de realiser ce que par quoi tu es passee ces derniers mois. Bon courage pour la convalescence et la découverte de ces nouveaux sons. Je trouve ton article très émouvant.
Merci Bénédicte !
Merci de partager toutes ces nouvelles sensations.
Bon repos à toi, et bonnes découvertes 🙂
PS: petite coquille, c’est Jacques Villeret pour la soupe au choux.
Ah merci, je corrige !
Bravo Sophie pour ton écriture vivante sur ton parcours vers la pose de l’implant cohelaire … J’aime ton regard innocent et incisif … Quel courage ! L’acteur de « la soupe aux choux » c’est Jacques Villeret …
Je te souhaite plein de bonheurs pour découvrir les bruits … Bisous Seb
Merci Sébastien, je viens de corriger. J’avais cette image mais le nom de l’acteur en effet…
Ton message me fait plaisir, ton ressenti est le bon.
Merci encore pour le temps que tu prends pour partager ton expérience, une vraie conquête en terre inconnue, une aventure comme on en vit rarement !
Bon courage dans ta rééducation, et savoure chaque découverte sonore. Hâte que tu nous racontes tous ces nouveaux sons que tu vas prendre plaisir à apprivoiser.
Merci pour ton message, c’est toujours plaisant de savoir qu’on est lue 🙂
c’est super merveilleuse aventure moi je suis mal entendante appareillée depuis l’age de 9 ans j’entends encore bien avec mes ppareils,mais j’ai une fille fille qui n’entends presque plus et qui hésite à se faire implanter dommage!!!bon courage et bonne continuation
Bonjour,
Merci pour votre message. Je comprends votre fille, ce n’est pas une décision facile à prendre.
Bon courage à vous aussi !