À l’heure où la pandémie est en train de repartir, je suis assise dans un café à attendre la réparation de la béquille de mon vélo.
J’ai observé autour de moi durant ce moment de pause. Les gens, dès qu’ils sont assis, enlèvent leur masque et consomment leur commande. Les serveurs ont leur masque sur la figure. Il y a quelques clients qui l’ont sous le menton. Quand je vois des masques sous le menton, je repense à l’image à 2 illustrations : la première qui est un visage qui porte un masque sous le menton suivi de la mention « porter ton masque » et l’autre qui est un sexe masculin sorti du slip avec la mention suivante : « c’est comme si tu portais son slip comme ça ». Je vous raconte ça parce que c’est à quoi cela me fait penser quand Je suis face à ces personnes. Je ne compte plus les façons de le porter aujourd’hui.
J’entre dans ce café/librairie, je fais mon choix de magazines. Et je me dirige pour prendre un café en passant. Je demande si je dois régler tout de suite ou si ça peut attendre. Ils me répondent avec leur masque. Je ne comprends pas, je reste plantée sur place avec un regard étonné. Un autre serveur me répond avec un air hautain. Je le comprends car son masque est sous le menton. En ce moment, ce qui est difficile, c’est le regard des gens et le ton de la parole quand je n’ai pas compris. J’ai une sensation de ne pas être traitée comme si j’avais compris.
Depuis mon accident, j’ai eu le temps de côtoyer des personnes et des situations. Il est évident qu’il n’y a pas une situation pareille depuis le premier jour du port obligatoire du masque. J’avais dit que j’écrirais sur les masques, je n’ai pas pu, mes bras n’étant pas toujours pleinement opérationnels, sans douleurs.
Entre-temps, j’ai réagi à une tribune du Figaro, d’autres personnes sourdes se sont exprimées sur le même sujet que j’ai repartagées sur mes réseaux.
Avec ce virus, j’évite les contacts au maximum. Je fais déjà preuve d’adaptation au quotidien pour entendre et comprendre. Avec la pandémie, l’effort est multiplié. Je préfère encore être dans ma bulle que de me retrouver face à des personnes masquées.
Me retrouver face à des personnes masquées, m’oblige à dire que je n’entends pas. Ça m’oblige à rendre ma surdité visible ce que je ne faisais pas avant. Sinon autant me balader avec une pancarte sur moi, comme un homme-sandwich.
Avant ma surdité était invisible, aujourd’hui, c’est la société qui m’est invisible.
Me retrouver face à des personnes masquées, c’est comme si je me retrouvais entourée de murs. La lecture labiale est un élément important de ma communication, de la relation que je peux avoir avec l’autre. Si je n’ai pas cet élément, je suis murée dans mon silence avec mes pensées.
J’ai l’impression que le monde a perdu son expression faciale, ses couleurs, tout est devenu terne. Avec le port du masque, je ne sais pas si les gens ont parlé gentiment ou durement, je ne sais pas si mon interlocuteur fait la tête ou il sourit.
C’est là qu’on se rend compte que les visages ont une importance visuelle pour le contact qu’on entende ou pas, qu’on comprenne ou pas.
Heureusement qu’il existe les masques transparents, j’ai eu beaucoup de remarques en me disant « ah mais ça serait super pour toi », seulement ça serait super pour les autres qui me côtoient au quotidien. Moi, j’en ai pas besoin sauf si je rencontre des personnes qui sont dans mon cas.
Nous avons pu tester deux sortes de masques, le masque sourire et le masque inclusif.
Le masque sourire est un masque qui est en tissu et transparent. Il a un élastique et deux lanières pour le fixer. La zone transparente est petite et bordée par les lanières et l’étiquette qui est assez grande par rapport au masque. Il se remplit assez vite de buée.
J’ai une nette préférence pour le masque inclusif car la vision de la bouche est beaucoup plus grande et agréable, il n’y a pas de buée, du moins elle apparaît beaucoup moins vite. (J’ai un conjoint bavard, nous l’avons testé en toute circonstances : intérieur, extérieur)
Il en existe plusieurs qui sont homologués : le masque inclusif, le masque sourire, le masque beethoven et le masque lux&elles.
Ces masques transparents me permettent de communiquer puisque je vois la personne, ses expressions. Mais hélas, il y a trop peu de masques disponibles et le délai est assez long pour ceux qui font l’effort de s’en équiper.
Aujourd’hui, c’est plus facilement « accepté » quand je dis que je n’entends pas et que je lis sur les lèvres. Il y a 6 mois, on pouvait ne pas me croire. Aujourd’hui, les gens compatissent et comprennent.
J’ai encore cette chance, d’être entourée de personnes sensibles à ma surdité, mon kiné, mon pharmacien, mes amis, les commerçants que je rencontre, qui font l’effort de le baisser et qui prennent ce risque pour pouvoir communiquer avec moi.
Quand les gens sont sensibilisés, je ne trouve pas ça choquant que tu leur demande de baisser leur masque parce que tu ne les comprends pas.
Cela m’est arrivé la semaine dernière, d’échanger avec un monsieur qui ne m’entendais pas. Mais à l’entendre, rien ne me permettait d’identifier qu’il était sourd.
Une fois qu’il me l’a dit, j’ai baissé mon masque et il a tout compris. J’imagine que c’est dur de tout le temps devoir expliquer, mais ce n’est qu’ainsi que les gens comprendront.
J’aimerais aussi acquérir ces masques transparents, mais apparemment, il n’y en a pas en ce moment.
Bon courage dans ce monde masqué 😉
un peu de lecture : https://lundi.am/Un-pays-sans-visage
et bon courage !
au passage, merci à retardement pour le site medias-soustitres.com, auquel moi et mes collègues sous-titreurs nous sommes souvent référés (on l’a d’ailleurs toujours dans nos archives ;-))
Merci Sophie pour ce témoignage, je partage à 300 %. Ça fait du bien de lire un texte comme celui là car je vis la même chose avec ce p***** de masque. Je suis malentendante, appareillée, et si jusqu’alors, je ne parlais pas de ma surdité autour de moi, par pudeur, je me rends compte que depuis ce protocole COVID je n’arrête pas d’en parler. Oui, ça nous oblige à rendre notre handicap visible là où on ne le faisait pas forcément avant. Moi aussi, les visages me manquent, les sourires et bien sûr la lecture labiale, je n’avais pas conscience à quel point j’y avais recours, il fallu que je retrouve dans cette situation pour m’en rendre compte. Heureusement que j’ai des collègues super, la plupart comprennes et dès qu’on peut, ils baissent le masque. Mais bon le quotidien est quand même deux fois plus difficile pour nous, ne nous voilons pas la face. Vivement que ça se termine….
Merci claire !